Intégrer 

les droits de propriété intellectuelle et la politique de développement

 

 

 

 

 

Rapport de la Commission britannique des droits de propriété intellectuelle

 

RESUME

 

 

 

Londres

Septembre 2002

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié par la

Commission on Intellectual Property Rights

c/o DFID

1 Palace Street

London SW1E 5HE

 

Tél. : 00 44 207 023 1732

Télécopieur : 00 44 207 023 0797 (à l'attention de Charles Clift)

Courrier électronique : ipr@dfid.gov.uk

Site web : http://www.iprcommission.org

 

Septembre 2002

 

Novembre 2002 (2e édition)

 

Le texte intégral du rapport et le résumé peuvent être téléchargés du site web de la Commission britannique des droits de propriété intellectuelle : http://www.iprcommission.org 

 

Pour obtenir une copie papier du rapport ou toute autre information, s’adresser au Secrétariat de la Commission à l'adresse ci-dessus.

 

© Commission on Intellectual Property Rights 2002

 

Conçu et imprimé par

Dsprint/redesign

7 Jute Lane

Brimsdown

Enfield EN3 7JL

 


 

LES COMMISSAIRES

 

 

Professeur John Barton (Président de la Commission)

Professeur de droit, Université de Stanford, Chaire George E. Osborne, Californie, Etats-Unis

 

Daniel Alexander

Avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, Londres, Royaume-Uni

 

Professeur Carlos Correa

Directeur, Programme de magistère sur la politique et la gestion en matière de science et technologie, Université de Buenos Aires, Argentine

 

Ramesh Mashelkar   FRS

Directeur général du Conseil indien de la recherche scientifique et industrielle et Secrétaire au Département de la recherche scientifique et industrielle, Delhi, Inde

 

Gill Samuels   CBE

Directeur principal de la politique et des questions scientifiques (Europe), Pfizer Inc., Sandwich, Royaume-Uni

 

Dr Sandy Thomas

Directeur du Conseil Nuffield sur la bioéthique, Londres, Royaume-Uni

 

 

 

 

SECRETARIAT

 

 

Charles Clift – Directeur

 

Phil Thorpe – Analyste politique

 

Tom Pengelly – Analyste politique

 

Rob Fitter – Chargé de recherche

 

Brian Penny – Chef de bureau

 

Carol Oliver – Secrétaire de direction


PREFACE

 

Madame Clare Short, ministre britannique du Développement international, a créé la Commission on Intellectual Property Rights (Commission des droits de propriété intellectuelle) en mai 2001. Cette Commission est composée de membres provenant d'une diversité de pays, d'horizons et de perspectives. Nous avons tous apporté à la Commission nos différents points de vue. Originaires de pays développés et en développement, nous appartenons au domaine de la science, du droit, de l'éthique et de l'économie tout autant qu’à l'industrie, aux organes de l'Etat et au monde universitaire. 

 

Il est tout à fait remarquable à mon avis que nous soyons parvenus à nous accorder sur autant de points tant en ce qui concerne notre démarche que nos conclusions générales. Comme l'implique le titre de notre rapport, nous estimons que les objectifs en matière de développement doivent être intégrés dans l'élaboration de la politique relative aux droits de  propriété intellectuelle (DPI), tant au plan national qu’international, et notre rapport expose certaines voies pour y parvenir.     

 

Bien que nous ayons été nommés par le gouvernement britannique, nous avons été entièrement libres de fixer notre ordre du jour, d'élaborer notre programme de travail et de rédiger nos conclusions et recommandations. Les possibilités et le soutien financier nécessaires nous ont été accordés pour améliorer notre compréhension des problèmes en question, en commanditant des études, en organisant des ateliers et des conférences et en allant rendre visite à des fonctionnaires ou à des groupes intéressés dans le monde entier. Nous avons été assistés dans notre tâche par un secrétariat hautement compétent mis à notre disposition par le Department for International Development (DFID) et l’Office britannique des brevets et nous tenons à le remercier tout spécialement.

 

Notre première réunion s’est tenue les 8 et 9 mai 2001 et nous nous sommes depuis réunis à sept autres reprises. Nous tous, ou certains d'entre nous, avons pu nous rendre au Brésil, en Chine, en Inde, au Kenya et en Afrique du Sud et nous avons eu des consultations avec de hauts fonctionnaires, des représentants du secteur privé et des ONG à Londres, Bruxelles, Genève et Washington. Nous avons visité le centre de recherche de la société Pfizer à Sandwich. A la fin du rapport figure la liste des principales institutions que nous avons consultées. Nous avons commandité dix-sept documents de travail et tenu huit ateliers à Londres sur divers aspects de la propriété intellectuelle. Nous avons également organisé à Londres, les 21 et 22 février 2002, une grande conférence pour que nous puissions entendre des questions et des préoccupations reflétant toute une variété de perspectives. Ces réunions ont constitué à elles seules une partie importante de notre travail, car en réunissant tout un ensemble de personnalités, elles ont facilité le dialogue et permis d'explorer les moyens de faire progresser certaines des questions en cause.

 

Nous avons été chargés d'examiner :

 

·         comment concevoir les régimes nationaux de DPI de telle sorte qu’ils bénéficient aux pays en développement dans le contexte des accords internationaux, y compris l'Accord sur les ADPIC ;

·         comment le cadre international de règles et d'accords pourrait être amélioré et développé par exemple dans le domaine des savoirs traditionnels et quels sont les rapports entre les règles et les régimes en matière de DPI qui couvrent l'accès aux ressources génétiques ;

·         quel cadre politique plus large est nécessaire pour compléter les régimes de propriété intellectuelle, y compris, par exemple, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles par le biais de la politique et du droit de la concurrence.      

 

Nous avons décidé très tôt de ne pas nous borner à essayer de suggérer des compromis entre les différents groupes d'intérêt, mais de travailler autant que possible sur la base d'éléments probants. Cela n'a pas été facile, car ces informations sont souvent limitées ou peu concluantes. Toutefois, grâce au travail de notre secrétariat, aux consultations approfondies et aux documents préparés à notre demande, il nous a été possible d’identifier les éléments probants disponibles, que nous avons ensuite évalués avec soin.          

Très vite nous avons compris qu'il importait d'établir une distinction entre les pays (à revenu intermédiaire ou faible), selon qu'ils ont ou non des capacités scientifiques et technologiques importantes. Nous avons cherché à savoir quelles sont les incidences réelles de la propriété intellectuelle, tant positives que négatives, dans ces deux catégories de pays. Nous avons toutefois choisi de concentrer nos efforts sur les préoccupations des populations les plus pauvres, qu’elles se trouvent dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire.

 

Tous les membres de la Commission adhèrent à ce rapport. Notre objectif est de trouver des solutions pratiques et équilibrées. Dans certains cas, nous avons adopté des suggestions présentées par d'autres, mais nous sommes seuls responsables des conclusions. Nous espérons avoir rempli la mission qui nous a été confiée. Nous espérons également que ce rapport sera utile à tous ceux qui participent au débat sur la manière dont les droits de propriété intellectuelle pourraient mieux contribuer au développement et à la réduction de la pauvreté.        

Au nom de la Commission, je souhaite remercier tous ceux qui, trop nombreux pour être cités ici, ont de par le monde participé à nos débats, et en particulier ceux qui ont rédigé nos documents de travail.     

 

Enfin, j’aimerais remercier Madame Clare Short et le ministère britannique du Développement international (DFID) d'avoir fait preuve de prévoyance en créant la Commission des droits de propriété intellectuelle. J'ai eu l'honneur de la présider, ce qui fut pour moi une expérience extraordinaire. Il en a été de même pour tous les membres de cette Commission. La tâche qui nous a été confiée était stimulante et nous avons été heureux de pouvoir tant apprendre les uns des autres et en particulier de tous ceux qui ont contribué à nos travaux. 

 

 

 

JOHN BARTON

Président


AVANT-PROPOS

 

Parmi ceux qui travaillent dans le secteur de la propriété intellectuelle (PI), peu liront le présent rapport sans trouver au moins un aspect dérangeant. C'est là le plus grand compliment qu'on puisse faire au professeur Barton et à son équipe de commissaires. Et rien ne révèle mieux les qualités de prévoyance et de courage dont a fait preuve Madame Clare Short, ministre britannique du Développement international, en créant la Commission et en fixant son mandat.

 

Peut-être l'époque où nous vivons encourage-t-elle l’adhésion aveugle aux dogmes, ce qui a une influence sur les horizons les plus divers, et certainement sur tous les aspects des droits de propriété intellectuelle (DPI). Il existe en effet d’un côté, celui des pays du monde développé, le lobby puissant de ceux qui croient que tous les DPI sont bons pour les affaires, avantageux pour le grand public et catalyseurs du progrès technique. Ils pensent et affirment que si les DPI sont une bonne chose, plus il y en aura, mieux cela vaudra. Mais de l’autre côté, celui des pays du monde en développement, s'élèvent de fortes revendications présentées par ceux qui croient que les DPI risquent de paralyser le développement des industries et des technologies locales, de nuire à la population locale et de ne bénéficier qu’au monde développé. Ils pensent et affirment que si les DPI sont une mauvaise chose, moins il y en aura, mieux cela vaudra. La mise en œuvre de l'Accord sur les ADPIC n'est pas parvenue à réduire l'écart entre ces deux visions des choses, mais a plutôt servi à renforcer les opinions régnantes. Les personnes souhaitant devantage de DPI et la mise en place de règles de jeu égales pour tous saluent l'Accord sur les ADPIC comme un instrument utile pour parvenir à leurs objectifs. Par contre, les personnes qui considèrent les DPI comme nuisibles aux pays en développement estiment que, déjà avant l'Accord sur les ADPIC, les règles du jeu n’étaient pas égales pour tous dans le domaine économique et que son introduction a renforcé les inégalités. Ces opinions sont si profondément ancrées dans les esprits que parfois on avait l’impression d'un dialogue de sourds où personne ne voulait écouter l’autre. Persuader, non, contraindre, oui !

 

Que les DPI soient une bonne ou mauvaise chose, il a bien fallu que le monde développé s'en accommode avec le temps. Même les inconvénients des DPI l’emportent parfois sur leurs avantages, la grande majorité des pays développés disposent de la puissance économique et des mécanismes juridiques leur permettant de surmonter les problèmes. Dans la mesure où les avantages l'emportent sur les inconvénients, les pays développés ont la richesse et les infrastructures nécessaires pour tirer parti des possibilités offertes. On ne peut vraisemblablement pas en dire de même pour les pays en développement et les pays les moins avancés.

 

C'est dans ce contexte que la ministre a décidé de créer la Commission pour examiner entre autres choses comment concevoir les régimes nationaux de DPI de telle sorte qu'ils bénéficient aux pays en développement. Ce mandat repose sur la reconnaissance du fait que les DPI peuvent contribuer à favoriser ou à entraver le développement des économies les plus fragiles. Les membres de la Commission eux-mêmes représentent un éventail de connaissances spécialisées aussi vaste qu'on pourrait le souhaiter. Ils ont effectué de nombreuses consultations. Ce rapport en est le résultat et il est tout à fait impressionnant.

 

Bien que son mandat l’ait chargée de se pencher en particulier sur les intérêts des pays en développement, la Commission y est parvenue sans laisser de côté les intérêts et les arguments des autres pays. Ainsi qu'elle le déclare, on ne peut pas exiger des pays en développement qu’ils appliquent des normes de PI plus rigoureuses sans procéder à une évaluation approfondie et objective de leurs incidences sur le développement. La Commission a fait tout son possible pour effectuer une telle évaluation. Il en est résulté un rapport qui présente des propositions judicieuses conçues pour répondre à la plupart des exigences raisonnables émanant des deux côtés. 

 

Toutefois, présenter une série de propositions pratiques n’est pas en soi suffisant. Ce qui est nécessaire, c'est leur acceptation et la volonté de les mettre en œuvre. Dans ce domaine aussi, la Commission joue un rôle majeur. Ce rapport n'est pas celui d'un groupe de pression. La Commission a été créée pour offrir des conseils aussi impartiaux que possible. Son origine et sa composition devraient encourager tous ceux à qui le rapport s'adresse à prendre ses recommandations au sérieux.

 

Pendant trop longtemps, les DPI ont été considérés comme bons pour les pays riches et mauvais pour les pays pauvres. J'espère que le présent rapport montrera que la réalité n'est pas aussi simple que cela. Les pays pauvres pourraient trouver les DPI utiles à condition de les adapter aux conditions locales. La Commission estime que le régime approprié à chaque pays en développement doit être décidé sur la base de ce qui est le plus propice à son  développement et que la communauté internationale et les gouvernements de tous les pays doivent s’en souvenir lorsqu'ils prennent leurs décisions. J'espère très sincèrement que ce rapport les encouragera à agir ainsi.

 

 

 

SIR HUGH LADDIE

Juge du Tribunal des brevets, Haute Cour du Royaume-Uni

 


RESUME

 

Ce résumé est tiré du rapport complet de la Commission, intitulé « Intégrer les droits de propriété intellectuelle et la politique de développement ». Il en présente les principaux éléments d’analyse et les recommandations de chaque chapitre. Il ne couvre pas toutes les questions et n’est pas destiné à dispenser de la lecture du rapport principal où sont examinés dans le détail le contexte, les faits et les argumentations.

 

 

VUE D’ENSEMBLE

 

Les Objectifs du développement du millénaire soulignent combien il importe de faire diminuer la pauvreté et la faim, d’améliorer la santé et l’éducation et d’assurer la pérennité de l’environnement. C’est pourquoi la communauté internationale s’est engagée à réduire de moitié le nombre des pauvres d’ici 2015. En 1999, environ 1,2 milliard de personnes survivaient avec moins d’un dollar par jour et près de 2,8 milliards vivaient avec moins de deux dollars par jour. Environ 90 % de ces personnes se trouvaient en Asie du Sud ou de l’Est, ou en Afrique subsaharienne. Le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme causent chaque année des millions de morts dans ces pays. Pour plus de 120 millions d’enfants en âge d’aller à l’école primaire, l’éducation est hors de portée.

 

Les pays en développement sont loin de former un tout homogène, fait qui pour être évident n’en est pas moins souvent oublié. Non seulement leurs capacités scientifiques et techniques varient, mais aussi leurs structures sociales et économiques et leurs inégalités  de revenu et de richesse. Les causes de la pauvreté, et par conséquent les politiques pertinentes à mettre en œuvre pour s'y attaquer, varient donc d'un pays à l'autre. Il en est de même pour les politiques concernant les DPI. Les politiques nécessaires dans les pays disposant de capacités technologiques relativement avancées, où vivent la plupart des pauvres, en Inde ou en Chine par exemple, pourront être différentes de celles requises dans les pays où ces capacités sont faibles, comme dans la plus grande partie de l’Afrique subsaharienne. L’impact des politiques en matière de PI sur les populations pauvres variera également selon les circonstances socio-économiques. Ce qui réussit bien en Inde ne réussira pas forcément au Brésil ou au Botswana.

 

Certains sont absolument convaincus, notamment dans les milieux d’affaires et les administrations publiques des pays développés, que les DPI permettent de stimuler la croissance économique et de réduire la pauvreté. Ils soutiennent qu’il n’y a aucune raison pour que ce qui réussit dans les pays développés ne puisse pas réussir également dans les pays en développement. D’autres, notamment dans les pays en développement et dans les ONG, avancent l’argument opposé avec la même véhémence. Selon eux, les DPI ne stimulent guère l’invention dans les pays en développement, en raison, peut-être, de l’absence des capacités humaines et techniques absolument indispensables. De plus, les DPI augmentent le coût des médicaments essentiels et des intrants agricoles, ce qui frappe durement surtout les pauvres et les agriculteurs.        

 

Au cours de ces vingt dernières années environ, le niveau, la portée, l’étendue territoriale et le rôle de la protection de la PI se sont développés à un rythme sans précédent. Le matériel génétique a fait l’objet d’un grand nombre de brevets. Des DPI ont été modifiés ou créés pour protéger de nouvelles technologies, notamment en biotechnologie et en technologies de l’information. Les technologies produites dans le secteur public sont systématiquement brevetées. L’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) a étendu les normes minimales de protection de la PI à toute la planète. Au sein de l’OMPI, les discussions continuent pour harmoniser plus encore le système des brevets, ce qui pourrait même supplanter l'Accord sur les ADPIC. De plus, des accords bilatéraux ou régionaux sur le commerce et l’investissement conclus entre pays développés et pays en développement comportent souvent des engagements mutuels concernant la mise en œuvre de régimes de PI qui vont au-delà des normes minimales prévues dans l'Accord sur les ADPIC. Par conséquent, une pression continue est exercée sur les pays en développement pour qu’ils renforcent la protection de la PI dans leur propre régime en suivant les normes en vigueur dans les pays développés.

 

Le fonctionnement des systèmes de DPI soulève de réelles préoccupations, même dans les pays développés. Le nombre de demandes de brevets a augmenté considérablement au cours de ces dernières années. De même, s'est propagée l’impression que de nombreux brevets délivrés sont de « moindre qualité » et de portée plus large. Les entreprises peuvent avoir à faire face à un coût considérable en temps et en argent pour décider comment, ou quand, entreprendre des recherches sans porter atteinte aux brevets détenus par d’autres entreprises, ou pour défendre leurs propres brevets. Il faut alors se demander si le coût élevé d’une procédure judiciaire en matière de brevet représente le prix à payer pour obtenir les avantages qu’offre le système des brevets, ou bien s’il existe des moyens de réduire ce coût. Comment cette prolifération de brevets affecte‑t‑elle la concurrence et la recherche ? 

 

Les préoccupations afférentes à l'impact de la PI dans les pays développés sont également importantes pour les pays en développement qui peuvent tirer parti des enseignements de l’expérience des pays développés lors de la conception de leurs propres systèmes. De plus, le système de PI des pays développés a des incidences directes sur les pays en développement. Les restrictions à l’accès aux documents et aux données sur l’Internet peuvent affecter tout le monde. Les règles de propriété intellectuelle peuvent entraver la recherche sur des maladies importantes ou de nouvelles cultures intéressant directement les pays en développement, mais entreprise en fait dans les pays développés. Si les brevets sont délivrés dans des pays développés, il est fort possible que les pays en développement ne reçoivent pas une part appropriée des avantages de la commercialisation de leurs savoirs ou de leurs ressources génétiques.

 

La tâche fondamentale de la Commission a consisté à examiner si les règles et les institutions de protection de la PI, telles qu’elles ont évolué jusqu’à présent, peuvent contribuer au développement et à la réduction de la pauvreté dans les pays en développement. Nous estimons qu’une sorte de protection de la PI convient à un certain stade aux pays en développement. Le système fournit des incitations à l’innovation et à la mise au point de nouvelles technologies susceptibles de servir les intérêts de la société. 

 

Mais ces incitations opèrent différemment en fonction des effets sur l'offre économique. Elles imposent des coûts aux consommateurs et autres utilisateurs des technologies protégées. L’équilibrage entre les coûts et les avantages variera selon les modalités d’application des droits et selon les circonstances économiques et sociales du pays concerné. Les normes de protection de la PI susceptibles de convenir à des pays développés peuvent entraîner des coûts supérieurs aux avantages lorsqu’elles sont appliquées dans des pays en développement, fortement tributaires de savoirs créés ailleurs pour répondre à leurs besoins fondamentaux et pour encourager le développement.

 

Bien que la plupart des pays en développement n’aient pas de base technologique solide, ils disposent de ressources génétiques et de savoirs traditionnels qui ont une valeur pour eux-mêmes et pour le monde. Une autre question essentielle se pose alors : le système « moderne » de PI aide-t-il à protéger ces ressources et ces savoirs et à garantir que les avantages découlant de leur utilisation sont partagés équitablement ? A l’autre extrémité, l’Internet offre d’énormes possibilités d’accès à l’information concernant les travaux scientifiques et la recherche dont les pays en développement ont besoin, puisque l’accès aux médias traditionnels est limité par leur absence de ressources. Mais certaines formes de cryptage et les règles de PI peuvent paradoxalement rendre ce matériel moins accessible qu’il ne l’est actuellement sous forme imprimée. 

 

Il faut également examiner la nature des droits conférés par la protection de la PI. La délivrance de DPI est un instrument de politique publique qui devrait être conçu de manière à ce que les avantages qu’en tire la société (par exemple grâce à l’invention d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle technologie) soient supérieurs au coût que cela représente pour la société (par exemple, le coût plus élevé d’un médicament ou les frais de gestion du système de PI). Mais les DPI sont des droits privés, avec pour conséquence que les avantages et les coûts financiers intéressent des groupes différents au sein de la société. Les DPI peuvent être considérés comme l’un des moyens permettant aux pays et aux sociétés d’aider à promouvoir la réalisation des droits économiques et sociaux. En particulier, en aucune circonstance, les droits de l’homme les plus fondamentaux ne doivent être subordonnés aux exigences de la protection de la PI. Les DPI sont accordés par les Etats pour des périodes limitées (tout au moins dans le cas des brevets et du droit d’auteur), alors que les droits de l’homme sont inaliénables et universels. Généralement, les DPI sont considérés aujourd’hui comme des droits économiques et commerciaux, comme c'est le cas dans l'Accord sur les ADPIC, et sont détenus plus souvent par des entreprises que par des inventeurs particuliers. Mais le fait de les décrire comme des « droits » ne devrait pas occulter les réels dilemmes de leur application dans les pays en développement, là où les coûts supplémentaires qu’ils engendrent mobilisent certains fonds au détriment du financement des éléments essentiels à la vie des populations pauvres.

 

Nous pensons que les décideurs doivent examiner les éléments probants disponibles, même s'ils sont imparfaits, avant d’étendre plus encore les DPI. Trop souvent, l'évolution de la politique en matière de PI est dominée par les intérêts des « producteurs », tandis que ceux des consommateurs ne sont ni entendus, ni pris en compte. Dans les débats concernant les DPI entre les pays développés et en développement, le même déséquilibre existe. Les pays en développement négocient depuis une position de relative faiblesse. La difficulté provient du fait que ce sont des « nouveaux arrivants » dans un monde qui a été façonné par les « premiers arrivés ». La question alors est la suivante : comment peuvent-ils façonner leur système de PI de manière qu’il convienne à leurs propres conditions économiques, sociales et technologiques, comme les pays développés l’ont fait dans le passé ?

 

Si nous n’y prenons pas garde, les systèmes de PI peuvent donner lieu à des distorsions préjudiciables aux intérêts des pays en développement. Les pays développés devraient se soucier davantage de concilier leurs propres intérêts commerciaux avec la nécessité de réduire la pauvreté dans les pays en développement, ce qui profiterait à tout le monde. Il ne faut pas imposer un relèvement du niveau des normes de PI aux pays en développement sans effectuer une évaluation approfondie et objective des incidences de ces dernières sur le développement et sur les populations pauvres. Nous devons nous assurer que le système mondial de PI évolue dans le sens d’une intégration des besoins des pays en développement et, ce qui est encore plus important, qu’il contribue à la réduction de la pauvreté dans les pays en développement en stimulant les innovations et les transferts de technologie qui leur sont utiles, tout en mettant à leur disposition les produits issus de ces technologies aux prix les plus compétitifs possibles.  

 

Nous espérons que notre travail contribuera à l’élaboration d’un agenda visant à ce que le système mondial des DPI, et les institutions au sein de ce système, donnent de meilleurs résultats pour les pauvres et les pays en développement.  

 

 

Chapitre 1 : PROPRIETE INTELLECTUELLE ET DEVELOPPEMENT

 

Les brevets et le droit d’auteur entraînent de par leur nature même des coûts et des avantages pour les particuliers et les entreprises, ainsi que pour la société dans son ensemble. Ils stimulent les capacités d’invention et de création susceptibles de servir les intérêts de la société tout autant que ceux du titulaire des droits, mais ils imposent également des coûts à l’utilisateur des œuvres protégées. 

 

Tout au long de leur histoire, les pays maintenant développés ont utilisé la protection de la PI comme un instrument souple permettant d’encourager leur industrialisation. La discrimination à l'égard des étrangers, par le refus du droit à la protection de la PI ou la perception de redevances plus élevées, était courante, ainsi que l’exclusion de la brevetabilité de secteurs tout entiers, comme l’alimentation et l’industrie pharmaceutique. Dans certains pays, le système des brevets n’a été complètement mis en place que longtemps après le début du XXe siècle. Les pays d’Asie de l’Est, exemples les plus récents de développement réussi, ont créé et développé leurs capacités scientifiques et techniques dans le contexte de régimes de PI peu élaborés. Maintenant, l'Accord sur les ADPIC et les pressions croissantes qui s’exercent dans le sens de l’harmonisation constituent pour la plupart des pays en développement des limites à leurs possibilités d’application du système de PI. Ils ne peuvent pas opérer une discrimination entre les domaines technologiques ni entre les produits importés et les produits d'origine nationale, et l’emploi des divers instruments de politique de PI qui ont été utilisés historiquement se trouve restreint par les dispositions de l’Accord sur les ADPIC.   

 

Les données actuelles permettent de penser que, les pays en développement étant de gros importateurs nets de technologie en provenance du monde développé, la mondialisation de la protection de la PI entraînera des transferts nets supplémentaires importants des pays en développement vers les pays développés. Les pays en développement ne pourront alors tirer avantage d’une protection de la PI que si, en compensation, celle-ci constitue un stimulant dont l’effet dynamique se fera sentir dans le domaine du commerce, du développement technologique, de l’investissement et de la croissance.

 

Dans les pays développés, les faits démontrent que certains types d’entreprises, notamment dans l'industrie pharmaceutique, considèrent que les DPI sont un outil essentiel de promotion de l’innovation. Toutefois, dans les pays en développement, les preuves indiquant que les systèmes de DPI sont un encouragement essentiel à l’innovation sont beaucoup moins nombreuses. En fait, en ce qui concerne la plupart des pays en développement ayant de faibles capacités technologiques, les informations disponibles sur le commerce, l’investissement étranger et la croissance laissent penser que la protection de la PI n’aura que peu d’impact. Il n’est guère probable non plus que dans un avenir prévisible les avantages tirés de la protection de la PI l’emporteront sur les coûts. Pour les pays en développement plus avancés du point de vue technologique, l’équilibre est plus délicat. Des gains dynamiques peuvent résulter de la protection de la PI, mais à des coûts qui sont répercutés sur d’autres industries et sur les consommateurs.

 

La question essentielle en ce qui concerne la PI n’est peut être pas de savoir si elle encourage le commerce ou l’investissement étranger, mais dans quelle mesure elle facilite ou entrave l'accès des pays en développement aux technologies qui sont nécessaires à leur développement. Des pays comme la Corée ont commencé à un niveau d’expertise technologique très bas il y a quarante ans, comparable à celui de nombreux pays à faible revenu, mais sont maintenant devenus de véritables innovateurs. Le transfert de technologie et la mise sur pied d’une capacité technologique locale durable sont déterminés par de nombreux facteurs, notamment, mais non exclusivement, par les DPI. De plus, l’économie mondiale a changé du tout au tout depuis l’époque où les transferts de technologie constituaient une priorité internationale, à savoir le début des années 80 et ses débats autour du Code international de conduite pour le transfert de technologie.

 

Dans l’environnement libéralisé et concurrentiel d’aujourd’hui, les entreprises des pays en développement ne peuvent plus entrer en concurrence en recourant à l’importation de technologies « bien maîtrisées » en provenance des pays développés pour les produire à l’abri de barrières tarifaires. Et les entreprises elles‑mêmes ne sont plus aussi enthousiastes à l’idée de transférer des technologies susceptibles d’augmenter la concurrence à laquelle elles doivent faire face. Il ne s’agit plus tant d’obtenir des technologies bien maîtrisées à des conditions justes et équitables, mais plutôt d’avoir accès aux technologies de pointe nécessaires pour être compétitif dans l’économie mondiale d’aujourd’hui. L'Accord sur les ADPIC a renforcé la protection mondiale offerte aux fournisseurs de technologie, mais sans renforcer en contrepartie les politiques de concurrence à l’échelon mondial. Par conséquent, il n'est sans doute pas avisé de se fier à l'Accord sur les ADPIC en tant qu'instrument principal destiné à faciliter les transferts de technologie. Un programme plus étendu devra être entamé, comme le fait actuellement l’OMC. Les pays développés doivent examiner de très près leurs politiques visant à favoriser les transferts de technologie. De plus, ils devraient encourager l’amélioration de la recherche et de la coopération avec et entre les pays en développement, de manière à renforcer les capacités scientifiques et technologiques de ces derniers.

 

·         Il faudrait envisager d’adopter dans les pays développés des politiques d’incitation appropriées pour encourager les transferts de technologie, par exemple des allégements  fiscaux pour les entreprises qui concèdent des licences aux pays en développement.

 

·         Il faudrait instaurer des politiques efficaces en matière de concurrence dans les pays en développement.

 

·         Davantage de financements publics devraient être disponibles pour renforcer les capacités scientifiques et technologiques locales dans les pays en développement grâce à la coopération scientifique et technologique. Par exemple, le projet d’Alliance mondiale de la recherche (Global Research Alliance) entre les institutions de recherche des pays développés et des pays en développement mérite d'être soutenu.

 

·         Des engagements devraient être souscrits pour garantir que les avantages tirés des recherches financées par les fonds publics sont à la disposition de tous, y compris des pays en développement.

 

·         Des engagements devraient être souscrits pour garantir un libre accès aux bases de données scientifiques.

 

 

Chapitre 2 : SANTE

 

Sans l'incitation fournie par les brevets, il est peu probable que le secteur privé eût investi autant d’argent pour découvrir ou mettre au point des médicaments, dont un grand nombre est actuellement utilisé dans les pays tant développés qu’en développement. Toutefois, il apparaît que le système de PI ne joue pratiquement aucun rôle lorsqu’il s’agit de stimuler la recherche sur des maladies particulièrement répandues dans les pays en développement, à l’exception des maladies pour lesquelles il existe également un marché important dans le monde développé (le diabète ou les maladies de cœur, par exemple). Il n’est pas non plus probable que la mondialisation de la protection de la PI aboutira à une augmentation des investissements du secteur privé dans la mise au point de traitements concernant des maladies qui sévissent principalement dans les pays en développement. Les données dont nous disposons montrent également que la protection par brevet a un effet sur le prix demandé pour les médicaments. Dans les pays développés, la concurrence entre les génériques entraîne une baisse considérable des prix, notamment si le marché est suffisamment vaste pour accueillir plusieurs génériques. En l’absence de brevets dans les pays en développement, un plus grand nombre de personnes pourraient payer les traitements dont elles ont besoin. Lorsque l'Accord sur les ADPIC entrera pleinement en vigueur après 2005, notamment lorsque des pays comme l’Inde devront introduire une protection par brevet, la concurrence existante provenant des fabricants de génériques diminuera.

 

Le système de PI est l’un des facteurs qui influencent l’accès des pauvres aux soins de santé. Toutefois, dans les pays en développement, l’accès aux médicaments est soumis à d’autres contraintes importantes, comme le manque de ressources et l'absence des infrastructures sanitaires nécessaires (hôpitaux, cliniques, travailleurs sanitaires, matériel et approvisionnement suffisant en médicaments) pour administrer les médicaments de manière sûre et efficace. De plus, ces pays adoptent parfois des mesures, comme des taxes sur les médicaments, qui limitent l’accès aux soins. 

 

Comme les DPI se renforcent dans le monde entier, les prix des médicaments dans les pays en développement vont sans doute augmenter, à moins que des mesures efficaces ne soient prises pour qu’ils y soient accessibles à des prix plus bas. En matière de PI, il est possible, pour encourager une baisse des prix des médicaments dans les pays en développement, d’adopter dans les pays tant développés qu’en développement plusieurs mesures qui, aux yeux de la Commission, n’auront aucun effet négatif sur les incitations à la recherche sur les maladies en cause. L’un des moyens permettant d’obtenir des médicaments à des prix plus bas, parmi ceux qu’examine le rapport, consiste pour les pays à utiliser un mécanisme intitulé « octroi de licences obligatoires ». Ceci permet aux pays de délivrer des licences pour la fabrication de médicaments brevetés à d’autres fabricants lorsque des raisons sérieuses le justifient (par exemple, lorsque le gouvernement estime que le prix d’un médicament est indûment élevé). Ce moyen peut également servir d’argument dans les négociations sur les prix avec les producteurs de médicaments brevetés. Les Etats-Unis ont par exemple envisagé cette possibilité l’année dernière lorsqu’ils négociaient le prix du Cipro (hydrochlorure de ciproflaxine) à la suite des attaques à l'anthrax. L’importance du système de PI utilisé pour améliorer l’accès aux médicaments et à la santé publique a été soulignée l’année dernière lors de la réunion ministérielle de l’OMC à Doha dans une déclaration sur les ADPIC et la santé publique.

 

L’une des questions majeures abordée à Doha a porté sur la manière dont les pays qui n’ont pas les capacités nécessaires pour fabriquer certains médicaments pourraient se les procurer dans le cadre des règles existantes en matière de licences obligatoires. Le rapport examine plusieurs moyens d’y parvenir. Par ailleurs, il est essentiel que ces moyens motivent les fournisseurs éventuels de médicaments à offrir des prix inférieurs à ceux que propose le titulaire du brevet.    

 

En plus des mesures internationales visant à faciliter l’accès aux médicaments, les pays en développement doivent adopter dans leur législation et leurs pratiques des règles de PI qui limitent l’étendue de la délivrance des brevets et facilitent l’introduction de la concurrence par les génériques. Doha a également permis aux pays les moins avancés (PMA) d’exempter les produits pharmaceutiques de la protection par brevet jusqu’en 2016 au moins. Cependant, la plupart des PMA ont déjà introduit une telle protection de sorte que, pour profiter de ce report d'échéance, ils auront à modifier leur législation en conséquence. 

  

·         Comme le système de PI ne stimule guère la recherche sur les maladies qui touchent en particulier les populations pauvres, il faudrait augmenter le financement public de la recherche relative aux problèmes sanitaires des pays en développement. Ce financement supplémentaire devrait viser à exploiter et à développer les capacités existant dans les pays en développement pour ce genre de recherche, et encourager la création de nouvelles capacités dans les secteurs  public et privé.

 

·         Il faut que les pays adoptent un éventail de politiques visant à améliorer l’accès aux médicaments. Il est essentiel de consacrer des ressources supplémentaires à l’amélioration  des services, des mécanismes de prestation et des infrastructures. D’autres politiques économiques doivent être harmonisées avec les objectifs de la politique sanitaire. Il en va de même pour le régime de PI. Les pays doivent s’assurer que leurs régimes de protection de la PI ne vont pas à l’encontre de leurs politiques de santé publique, mais au contraire qu’ils sont compatibles avec celles-ci et les soutiennent.

 

·         Le système de PI peut faciliter la mise en place de mécanismes de prix différenciés qui permettraient de baisser les prix des médicaments dans les pays en développement tout en maintenant des prix plus élevés dans les pays développés. Pour que cette politique de prix différenciés porte ses fruits, il est nécessaire d’empêcher que les médicaments à bas prix reviennent dans les pays développés. Ceux-ci devraient maintenir et renforcer leurs régimes législatifs afin de prévenir les importations de produits pharmaceutiques à bas prix en provenance des pays en développement, contribuant ainsi au maintien de la différence de prix. Toutefois, les pays en développement devraient prévoir dans leur législation des dispositions leur facilitant l’importation des produits pharmaceutiques brevetés s’ils peuvent les obtenir meilleur marché ailleurs dans le monde. L'Accord sur les ADPIC permet aux pays d’établir leurs propres règles s’agissant de ce que l’on appelle techniquement les « importations parallèles ».

 

·         Les pays en développement devraient établir des lois et des procédures leur permettant de recourir aux licences obligatoires. Ils devraient également prendre des dispositions semblables pour ce qu’on appelle « l’utilisation officielle ». Nombre de pays développés ont ce genre de lois qui permettent à l’Etat d’utiliser les inventions brevetées dans diverses circonstances, sans porter atteinte à un brevet.

 

·         Le Conseil des ADPIC examine à l’heure actuelle les moyens qui permettraient de faciliter l'octroi de licences obligatoires au bénéfice des pays en développement ayant des capacités de fabrication insuffisantes. Un certain nombre de questions juridiques et pratiques très précises se posent alors : il faut trouver un moyen de concilier la nature de la solution adoptée avec l’objectif qui consiste à fournir des médicaments d’une qualité appropriée à des prix les plus bas possibles. Si c’est impossible, la solution n’aura guère de réalité pratique. Et l’option de l'octroi de licences obligatoires ne pourra guère servir d’instrument de négociation avec les entreprises. Quelle que soit la solution adoptée, il faudra qu’elle puisse être appliquée rapidement et facilement pour veiller à ce que la priorité soit accordée aux besoins réels des pauvres dans les pays en développement. En outre, elle devra instaurer des conditions offrant aux fournisseurs éventuels les incitations économiques nécessaires pour exporter les médicaments dont ces pays ont besoin.    

 

·         L'Accord sur les ADPIC permet une souplesse considérable dans la manière dont les pays peuvent concevoir leur système de brevets. Etant donné que la plupart des pays en développement n’ont pas de capacité de recherche importante, ils n’ont rien à gagner en accordant une large protection par brevet pour encourager la recherche, mais ils risquent par contre d'être lésés par l’impact des brevets sur les prix. Par conséquent, les pays en développement devraient rechercher des normes de brevetabilité strictes afin d’éviter de délivrer des brevets n’ayant qu’une valeur limitée eu égard à leurs objectifs de santé publique. De tels systèmes devraient viser à promouvoir la concurrence et fournir des garanties en cas d’usage abusif du système des brevets.

 

·         A titre d'exemple, la plupart des pays en développement devraient exclure de la brevetabilité les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales, y compris les nouvelles utilisations de produits connus, comme l'autorise l'Accord sur les ADPIC.

 

·         Les pays en développement devraient également prendre des dispositions législatives facilitant l’entrée sur le marché des fabricants de génériques dès l'expiration du brevet d’un produit donné. L’une de ces dispositions (« l’exception Bolar ») permet aux producteurs de génériques de mettre au point leur version du médicament breveté pendant la durée du brevet sans que cela porte atteinte à ce dernier. Une autre disposition consiste à rendre plus facile et moins coûteux, pour les fabricants de génériques, l’agrément officiel des médicaments semblables à ceux qui sont enregistrés, tout en assurant la protection des données d’essai contre une utilisation commerciale déloyale (par exemple, les données d’essais cliniques dont les sociétés ont besoin pour obtenir l’agrément des organismes de réglementation comme la FDA aux Etats-Unis).

 

·         Les PMA qui accordent déjà une protection aux produits pharmaceutiques devraient examiner avec soin le moyen de modifier leur législation pour tirer parti de la Déclaration de Doha. Le Conseil des ADPIC devrait revoir les dispositions transitoires applicables aux PMA, notamment à ceux qui ont fait des demandes d’adhésion à l’OMC, et ce dans tous les domaines technologiques.

 

 

Chapitre 3 : AGRICULTURE ET RESSOURCES GENETIQUES

 

La Commission a constaté que, dans les pays développés, le financement public des travaux de recherche intéressant les agriculteurs pauvres des pays en développement reste stationnaire ou diminue. En revanche, le dynamisme provient de la recherche du secteur privé, qui est soutenue par la protection de la PI et par la demande émanant des agriculteurs des pays développés, ainsi que par secteur commercial de quelques pays en développement. Ces deux tendances risquent d’aboutir à ce que les priorités en matière de recherche soient dans l’ensemble de moins en moins adaptées aux besoins des agriculteurs pauvres des pays en développement. De plus, la stagnation des financements publics menace notamment la mise à jour des banques de gènes nationales et internationales, principales sources du matériel génétique nécessaire aux efforts de sélection futurs présentant un intérêt pour les agriculteurs pauvres. Alors que ces dernières années les DPI des sélectionneurs ont été constamment renforcés, comme l’exige l'Accord sur les ADPIC, on s’est peu soucié dans la pratique de reconnaître les services rendus par les agriculteurs en ce qui concerne la sélection, le développement et la conservation de leurs variétés traditionnelles sur la base desquelles les techniques modernes de sélection sont élaborées. Le Traité sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, récemment adopté par la FAO, vise à protéger d’une brevetabilité directe le matériel des banques de gènes et des champs d’agriculteurs couverts par le Traité et encourage également les pays à protéger les droits des agriculteurs.

 

Conformément à l'Accord sur les ADPIC, les pays doivent appliquer une protection de la PI aux variétés végétales, que ce soit par le biais du brevet ou d'une autre manière (intitulée protection sui generis). Ils doivent également autoriser la brevetabilité des micro-organismes. Selon la Commission, les faits montrent que les systèmes sui generis de protection des variétés végétales (PVV) n’ont pas vraiment réussi à stimuler la recherche sur les produits agricoles en général, ni sur les cultures des agriculteurs pauvres en particulier. Les systèmes de PVV, conçus pour répondre aux besoins de l’agriculture commerciale des pays développés (comme ceux qui sont prévus dans la Convention UPOV), représentent également une menace pour les pratiques de nombreux agriculteurs des pays en développement consistant à réutiliser, échanger et vendre officieusement les semences et sont susceptibles de ne pas convenir dans les pays en développement sans une agriculture commerciale importante. Les brevets sont habituellement utilisés dans les pays développés pour protéger à la fois les variétés végétales et le matériel génétique incorporé aux végétaux. Comme ils offrent une forme de protection plus forte que la plupart des systèmes de PVV, ils peuvent constituer une incitation plus puissante à la recherche, notamment dans les pays développés, et les multinationales agrochimiques les considèrent comme importants. Toutefois, les brevets constituent aussi une menace pour les pratiques traditionnelles de réemploi et d’échange des agriculteurs. En outre, la prolifération des brevets génétiques détenus par différentes entreprises a conduit à des litiges coûteux et rendu difficile la réalisation de travaux de recherche sans porter atteinte aux brevets détenus par d'autres sociétés. Les données disponibles montrent que les brevets contribuent à la concentration rapide dans le domaine de la biotechnologie agricole, ce qui a des incidences négatives sur la concurrence.

 

·         Etant donné que les brevets peuvent imposer des restrictions à l’utilisation des semences par les agriculteurs et les chercheurs, les pays en développement ne devraient en principe pas délivrer de brevets sur les végétaux et les animaux, ce que permet l'Accord sur les ADPIC. Ils devraient plutôt envisager différentes formes de systèmes sui generis pour les variétés végétales. 

 

·         Comme ils ne tireraient vraisemblablement pas d’avantages des incitations à la recherche offertes par le système des brevets, alors qu’ils en financeraient le coût, les pays en développement aux capacités technologiques limitées devraient restreindre l’application des brevets en biotechnologie agricole, selon des modalités compatibles avec l'Accord sur les ADPIC. Pour les mêmes raisons, ils devraient adopter une définition restrictive du terme « micro-organisme ». 

 

·         Toutefois, les pays qui ont déjà, ou désirent développer, des industries liées aux biotechnologies souhaiteront sans doute offrir une protection par brevet dans ce domaine. Dans ce cas, ils devraient établir néanmoins des exceptions spécifiques aux droits exclusifs pour ce qui concerne la sélection végétale et la recherche. Il faut en outre examiner avec soin dans quelle mesure les droits de brevet s’appliquent également aux cultures récoltées. Il est important d’inclure dans la législation une exception très explicite aux droits de brevet afin que les agriculteurs puissent réutiliser les semences.

 

·         Le réexamen des dispositions pertinentes de l'Accord sur les ADPIC qui a lieu  actuellement au sein du Conseil des ADPIC devrait préserver le droit des pays de ne pas délivrer de brevets sur les végétaux et les animaux, y compris les gènes et les végétaux et animaux génétiquement modifiés. Il devrait également permettre aux pays de mettre au point des régimes sui generis pour la protection des variétés végétales qui conviennent à leurs systèmes agricoles. Ces régimes devraient permettre l’accès aux variétés protégées pour la recherche ou la sélection ultérieures et prévoir le droit des agriculteurs à conserver et à replanter leurs semences, y compris la possibilité de les vendre et de les échanger de manière informelle.

 

·         En raison de la concentration croissante dans l’industrie des semences, il est important que la recherche du secteur public en matière d’agriculture et sa composante internationale soient renforcées et mieux financées. L’objectif devrait être de garantir que la recherche est orientée vers les besoins des agriculteurs pauvres, que les variétés appartenant au secteur public sont disponibles pour permettre la concurrence avec les variétés du secteur privé et que le patrimoine des ressources génétiques végétales mondiales est préservé. De plus, c’est un domaine dans lequel les pays devraient envisager l’utilisation du droit de la concurrence pour faire face au degré élevé de concentration au sein du secteur privé.

 

·         Les pays développés et les pays en développement devraient accélérer le processus de ratification du Traité de la FAO sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Ils devraient notamment appliquer les dispositions du Traité qui autorisent à refuser des DPI sur le matériel génétique sous la forme fournie par les banques de gènes protégées par le Traité. Ils devraient également mettre en œuvre au niveau national des mesures visant à promouvoir les droits des agriculteurs. Il s’agit notamment de la protection des savoirs traditionnels relatifs aux ressources phytogénétiques, du droit de participer équitablement au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture et du droit de participer à la prise de décisions, au niveau national, sur les questions  relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques.

 

 

Chapitre 4 : SAVOIRS TRADITIONNELS ET INDICATIONS GEOGRAPHIQUES

 

La protection et la promotion des savoirs traditionnels répondent à plusieurs soucis : la disparition progressive des modes de vie et des cultures traditionnels du fait de pressions extérieures, l’appropriation illicite, la préservation de la biodiversité et la promotion de son  utilisation pour favoriser le développement. Certains souhaitent conserver les savoirs traditionnels et les protéger contre l’exploitation commerciale, d’autres s’assurer qu’ils sont exploités de manière équitable et bénéficient à leurs détenteurs. Le débat sur la protection des savoirs traditionnels repose sur des questions beaucoup plus importantes comme la position des communautés indigènes au sein de l’économie générale et de la société du pays dans lequel elles se trouvent, ainsi que leur accès aux terres sur lesquelles elles vivent depuis toujours ou leur droit de les posséder. Etant donné les raisons variées invoquées pour la protection des savoirs traditionnels et la nature générale de cette question, il n'y a pas une manière unique de protéger ou de promouvoir ces savoirs traditionnels. Au contraire, des mesures multiples et complémentaires seront nécessaires, dont une grande partie appartient à un domaine extérieur à la propriété intellectuelle. Par exemple, il est possible que les mesures requises pour empêcher l’appropriation illicite des savoirs traditionnels soient tout à fait différentes de celles qui seront nécessaires pour encourager leur plus large emploi, voire incompatibles avec ces dernières. Il est indispensable que le débat se poursuive afin de clarifier ces questions complexes. 

 

La protection des savoirs traditionnels peut être assurée à la fois dans le cadre du système de PI existant et grâce à l’élaboration de formes de protection nouvelles ou sui generis. Récemment, il a beaucoup été question de certains brevets délivrés pour des savoirs traditionnels pourtant déjà largement connus du public. Pour empêcher l’appropriation illicite des savoirs traditionnels par l'obtention de brevets sur ces savoirs, des efforts sont déployés pour cataloguer les savoirs traditionnels dans des bases de données numériques qui seront accessibles aux examinateurs de tous les offices des brevets. Dans d’autres cas, les lois et pratiques en matière de brevets peuvent permettre la délivrance de brevets pour des « inventions » qui ne sont guère autre chose que des découvertes. Certains pays n’admettent pas que l’utilisation de certains savoirs par d’autres pays que les leurs constitue une raison pour ne pas octroyer de brevets. Par exemple, une utilisation à l’étranger peut apporter la preuve qu’une invention revendiquée n’est pas nouvelle ou qu’elle est évidente, même si elle n’a pas été utilisée à l’intérieur du pays. Même si des brevets sont délivrés pour des inventions valides dérivées de ressources génétiques ou de savoirs traditionnels, il est possible que les communautés qui ont fourni ces ressources ou ces savoirs n’aient pas donné leur consentement en connaissance de cause et qu’aucun arrangement n’ait été décidé pour le partage des avantages découlant de leur commercialisation.

 

La Convention sur la diversité biologique (CDB), que la plupart des pays ont signée, cherche à encourager l’accès aux ressources génétiques mondiales à condition que cela s'effectue avec le consentement en connaissance de cause du détenteur de la ressource et que tout avantage tiré de cet accès soit partagé de manière équitable. De longs débats ont porté sur l’étendue de l’appui que le système de PI doit donner à la CDB. Au cœur de ces débats est la question de savoir si les demandeurs de brevets doivent divulguer dans leurs demandes l'origine de toute ressource génétique utilisée dans leur invention.

 

Un autre débat qui a lieu au sein du Conseil des ADPIC de l’OMC porte sur la question de savoir si la protection qu'offre l'Accord sur les ADPIC aux indications géographiques (c’est-à-dire aux indications qui identifient l’origine d’un produit comme une marque de qualité et de provenance) doit être renforcée soit par l’établissement d’un registre international des indications protégées, soit par l’extension à d’autres produits de la protection additionnelle actuellement accordée aux vins et spiritueux. Cependant, ce qui manque à ce débat, c’est une évaluation économique réelle des conséquences de ces propositions pour les pays en développement.    

 

·         A ce stade précoce du débat sur les savoirs traditionnels, il y a tout avantage à ce que cette question soit examinée au sein d'un certain nombre d'instances, tout en veillant à mettre au point des approches cohérentes et à éviter les doubles emplois.

 

·         Etant donné la large gamme de matériel à protéger et la diversité des raisons pour le « protéger », il se peut qu’un seul système sui generis portant sur tous les aspects de la protection des savoirs traditionnels soit trop spécifique et insuffisamment souple pour tenir compte des besoins locaux.

 

·         Les bibliothèques numériques de savoirs traditionnels actuellement en cours de création devraient être incorporées aussitôt que possible aux listes de documentation de recherche minimale des offices des brevets, ce qui permettrait veiller à ce que les données qui y sont contenues soient examinées lors du traitement des demandes de brevets. Les détenteurs de savoirs traditionnels devraient jouer un rôle primordial lorsqu’il s’agit de décider si ces savoirs sont inclus dans les bases de données et tirer en outre des avantages de toute exploitation commerciale de cette information.

 

·         Les pays qui n'incluent que l’utilisation nationale dans leur définition des antériorités devraient accorder le même traitement aux utilisateurs des savoirs dans les autres pays. Il faudrait tenir compte de la nature non écrite d’une grande partie des savoirs traditionnels lorsque l’on s’efforcera de développer le système  des brevets au niveau international.

 

·         En application du principe d’équité, aucune personne ne devrait pouvoir bénéficier d’un droit de PI fondé sur des ressources génétiques ou des savoirs associés acquis en violation de toute législation régissant l’accès à ce matériel. 

 

·         En tels cas, c'est au détenteur du savoir qu'il devrait généralement incomber de prouver que le titulaire du DPI a agi indûment. Mais il faut pour cela que ce détenteur ait connaissance de ce qui a été fait.  

 

·         C’est pourquoi tous les pays devraient prévoir dans leur législation l’obligation de divulguer dans la demande de brevet l’origine géographique des ressources génétiques dont l’invention est dérivée. Cette exigence devrait être assortie d’exceptions raisonnables, comme par exemple lorsqu’il est véritablement impossible d’identifier l'origine géographique du matériel. Des sanctions ne devraient être infligées que dans les cas où il est démontré que le titulaire du brevet n’a pas divulgué l'origine qu'il connaissait, ou a cherché sciemment à induire en erreur en ce qui concerne l'origine. Le Conseil des ADPIC devrait examiner cette question en s’inspirant des recommandations faite par l’OMC dans la Déclaration ministérielle de Doha.

 

·         Il faudrait également envisager d’établir un système selon lequel les offices des brevets examinant les demandes de brevets qui indiquent l'origine géographique de ressources génétiques ou de savoirs traditionnels transmettent cette information soit au pays concerné, soit à l’OMPI. L’OMPI pourrait agir en tant que dépositaire de toute information de cette nature liée à un brevet. Ces mesures permettraient de suivre de plus près l’utilisation et l'usage abusif des ressources génétiques.

 

·         En ce qui concerne les indications géographiques, de nouvelles recherches devraient être entreprises par un organe compétent, peut‑être la CNUCED, pour évaluer les avantages et les coûts pour les pays en développement des dispositions existantes dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC, leur rôle éventuel en matière de développement, et les coûts et avantages des diverses propositions visant à étendre les indications géographiques et à établir un registre multilatéral.

 

 

 

Chapitre 5 : DROIT D’AUTEUR, LOGICIELS ET INTERNET

 

Certains pays en développement ont tiré des avantages de la protection du droit d’auteur. L'industrie indienne du logiciel et du cinéma en est un bon exemple. Mais il est difficile de trouver d’autres exemples. Dans nombre de pays en développement, la protection du droit d’auteur existe depuis longtemps, mais elle n’a pas été suffisante pour stimuler la croissance des industries que ce droit protège. Etant donné que la plupart des pays en développement, notamment les plus petits, sont surtout des importateurs de matériel protégé par le droit d’auteur et que les principaux bénéficiaires sont par conséquent des titulaires de droits étrangers, le fonctionnement du système de droit d’auteur dans son ensemble peut imposer aux premiers des coûts supérieurs aux avantages escomptés. Le système de droit d’auteur comporte des assouplissements inscrits dans les traités internationaux (comme la Convention de Berne), permettant la réalisation de copies, notamment pour usage personnel et éducatif. Ce sont les clauses que l’on connaît sous les diverses appellations de « fair use » ou « fair dealing » (utilisation équitable). Ces dispositions se sont toutefois avérées en général insuffisantes pour répondre aux besoins des pays en développement, notamment dans le domaine de l’enseignement.

 

Les pays en développement doivent mettre en place des systèmes efficaces pour faire respecter les droits. Toutefois, dans de nombreux cas (par exemple celui des logiciels), la valeur totale des pertes estimées du fait des copies illicites est plus élevée dans les pays développés. En outre, le manque de rigueur dans l’application de la loi a sans aucun doute eu un impact majeur dans certains domaines sur la diffusion des savoirs et des produits fondés sur le savoir dans le monde en développement. En effet, de nombreuses personnes pauvres des pays en développement ne peuvent avoir accès à certaines œuvres qu’en ayant recours à des copies non autorisées disponibles à une fraction du prix de l’original. Inévitablement, une protection des droits et une application de la loi plus rigoureuses, ainsi  que l’exige l'accord sur les ADPIC, réduiront l’accès aux produits fondés sur le savoir dans les pays en développement, avec des conséquences potentiellement préjudiciables pour les pauvres. Par exemple, le coût des logiciels est un problème majeur pour les pays en développement et explique la grande quantité de copies illicites. Le droit d’auteur peut également être un obstacle à l’élaboration de nouveaux logiciels spécifiquement adaptés aux besoins et exigences locaux.

 

Dans les pays en développement l’accès à l’Internet est limité, même s’il augmente rapidement dans la plupart des pays. Mais l’Internet fournit un moyen inégalé d'accès bon marché au savoir et à l’information nécessaires aux pays en développement, alors que leur accès aux livres et aux magazines est fortement limité par leur manque de ressources. Or, l’application à l'Internet des règles en matière de droit d’auteur pose des problèmes. Et les droits historiques d’« utilisation équitable » peuvent être limités par certaines formes de protection technologique, comme le cryptage, qui limitent l’accès plus rigoureusement encore que le droit d’auteur. Aux Etats-Unis, une loi récente [la loi du millénaire sur le droit d'auteur numérique (Digital Millenium Copyright Act - DMCA)] interdit le contournement de cette protection technologique, même lorsque l’objectif de ce contournement n’enfreint pas la législation sur le droit d’auteur. L’Union européenne a introduit une forme spéciale de protection des bases de données (la « directive sur les bases de données ») qui récompense l'investissement dans la création de bases de données et peut restreindre l’accès aux données, notamment par les scientifiques, y compris dans les pays en développement. Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur de 1996 contient des éléments susceptibles de limiter l’accès des pays en développement à l’information.

 

·         Les éditeurs, y compris ceux dont les produits sont disponibles en ligne, et les producteurs de logiciels devraient revoir leurs politiques de fixation des prix pour aider à réduire le nombre de copies non autorisées et pour faciliter l’accès à leurs produits dans les pays en développement. Les initiatives prises par des éditeurs pour élargir l’accès à leurs produits dans les pays en développement sont louables, et nous encourageons leur extension. Elargir les initiatives permettant aux pays en développement d’avoir un accès en ligne gratuit à toutes les revues scientifiques est un bon exemple de ce qui pourrait être réalisé.

 

·         Afin d’améliorer l’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur et de réaliser leurs objectifs en matière d’éducation et de transfert des connaissances, les pays en développement devraient adopter des mesures en faveur de la concurrence dans leur législation sur le droit d’auteur. Ils devraient être autorisés à conserver ou à adopter dans leur législation nationale sur le droit d’auteur de larges exemptions applicables aux utilisations dans l’enseignement, la recherche et les bibliothèques. Avant d’appliquer les normes internationales du droit d’auteur dans le monde en développement, il faudra apprécier à sa juste mesure la nécessité constante d’améliorer la disponibilité de ces produits et leur importance cruciale pour le développement social et économique.

 

·         Les pays en développement et leurs partenaires bailleurs de fonds devraient réexaminer les politiques d’acquisition de logiciels informatiques, en vue de veiller à ce que soient correctement prises en compte les options d’utilisation de produits logiciels à faible coût et/ou libres (« open source ») et à ce que leurs coûts et avantages soient évalués avec soin. Afin que les logiciels puissent être adaptés aux besoins locaux, les pays en développement devraient faire en sorte que leur législation nationale sur le droit d’auteur autorise l'ingénierie inverse des logiciels, selon des modalités compatibles avec les traités internationaux qu’ils ont signés en la matière.  

 

·         Les utilisateurs de l’Internet dans les pays en développement devraient pouvoir faire usage des droits d’utilisation équitable, comme la réalisation et la distribution à partir de sources électroniques de copies imprimées en nombre raisonnable pour des objectifs éducatifs et de recherche, et l’utilisation d’extraits dans une mesure raisonnable pour les commentaires et les critiques. Lorsque les fournisseurs d’informations numériques ou de logiciels tentent de restreindre les droits d’utilisation équitable en imposant des clauses contractuelles associées à la distribution du matériel numérique, la clause contractuelle en question peut être considérée comme nulle et non avenue. Si l’on tente d’imposer une restriction semblable par des moyens technologiques, dans ce cas les mesures prises pour passer outre les moyens technologiques de protection ne devraient pas être considérées comme illégales. Les pays en développement devraient bien réfléchir  avant d’adhérer au traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Les pays devraient également se garder de suivre l’exemple des Etats-Unis et de l’Union européenne et ne point adopter de législation analogue à la DMCA ou à la directive sur les bases de données.

 

 

Chapitre 6 : REFORME DU BREVET

 

Les pays en développement n’ayant pas tous les mêmes capacités scientifiques et techniques, ils doivent choisir le système de PI qui à leur avis convient le mieux à leurs objectifs de développement et à leurs circonstances économiques et sociales. Les plus avancés du point de vue technologique souhaiteront sans doute adopter des systèmes qui permettent une protection étendue par brevet pour encourager la R&D. Par contre, ils souhaiteront peut être aussi éviter certains aspects du système qui pourraient constituer des mesures dissuasives pour la R&D ou détourner une partie des ressources vers des procédures judiciaires et des litiges concernant des brevets de validité douteuse. Ces systèmes devront comporter des garanties suffisantes pour assurer un environnement concurrentiel et minimiser les coûts pour le consommateur. Ceci est particulièrement important dans des secteurs comme l’industrie pharmaceutique ou l’agriculture où le coût d’une protection étendue par brevet sera vraisemblablement le plus élevé. 

 

Pour la grande majorité des pays en développement, notamment ceux à faible revenu qui sont principalement tributaires de biens et de technologies importés, le meilleur système pourrait consister à appliquer des normes strictes de brevetabilité de sorte que moins de brevets répondent aux critères de brevetabilité. Ceci pourrait être préférable à un système de protection plus étendu, qui serait avantageux surtout pour les titulaires de brevets étrangers. Un deuxième niveau de protection sur la base d'une forme de brevet dite modèle d’utilité, qui offre une protection selon des seuils de brevetabilité plus bas, pourrait mieux convenir aux circonstances économiques d’un grand nombre de pays en développement qu'un plein système de brevets.

 

Etant donné que dans les pays en développement les compétences scientifiques et technologiques sont concentrées dans le secteur public, il y a lieu de s'interroger sur les conséquences d'une politique à l'image des pays développés qui consiste à encourager les instituts de recherche et les universités à déposer un plus grand nombre de brevets. Les pays en développement devront se pencher sur les questions soulevées par cette politique dans les pays développés quant à ses effets positifs et négatifs sur l’application des technologies inventées dans ces institutions et à ses incidences éventuelles sur les priorités de la recherche.

 

Les règles en matière de brevet appliquées dans les pays développés sont également importantes étant donné qu’une grande partie de la recherche intéressant les pays en développement peut être menée dans les pays développés ou en collaboration avec des chercheurs des pays développés. Ceci concerne plus particulièrement les brevets portant sur des instruments essentiels de la recherche, par exemple certaines séquences de gènes dans le domaine de la biotechnologie. Une augmentation de la délivrance des brevets pour ces instruments de recherche dans les pays développés pourrait ralentir la recherche pertinente pour les pays en développement. Ces derniers devront également éviter autant que possible que les mêmes problèmes surgissent dans leur propre système de brevets.

 

Les pays en développement sont déjà confrontés à des obstacles considérables pour mettre en œuvre leur système de brevets. De fortes pressions sont exercées dans le sens d’une harmonisation du système international des brevets afin de surmonter les problèmes suscités, principalement dans les pays développés, par l’augmentation rapide des dépôts de demandes de brevets. Comme le système est essentiellement national ou régional, les procédures sont souvent reproduites plusieurs fois, comme par exemple la recherche et l’examen, ce qu’une harmonisation pourrait éliminer. Le danger alors pour les pays en développement, c’est que l’harmonisation se fasse autour des normes de protection des pays développés, lesquelles sont susceptibles de ne pas leur convenir. Il faut donc que les pays en développement veillent à ne pas accepter, lors de ces discussions, de nouvelles règles internationales limitant davantage leur liberté de concevoir des politiques qui leur conviennent en matière de brevets, sauf s’il peut être démontré qu’ils ont tout intérêt à le faire.

 

·         Les pays en développement devraient prévoir, dans les limites de leurs obligations internationales et bilatérales, un système de brevets favorable à la concurrence qui limite la portée de la matière brevetable, applique de strictes normes de brevetabilité, facilite la concurrence, intègre des garanties étendues contre l’usage abusif des droits de brevet et encourage l’innovation locale.

 

·         Les pays en développement qui prévoient la protection des inventions biotechnologiques par des brevets devraient faire en sorte que les lignes directrices applicables à la délivrance des brevets limitent aussi peu que possible l’utilisation des inventions brevetées par d’autres chercheurs. Par exemple, si les brevets portant sur des gènes sont autorisés, les lignes directrices devraient préciser que le brevet ne couvre que les utilisations qui y sont indiquées, et non pas d’autres utilisations de la même invention que des tiers pourraient découvrir. Ceci facilitera la recherche ultérieure dans le secteur dont fait partie le brevet.

 

·         Les décideurs des pays en développement devraient envisager d’instituer une protection par le modèle d’utilité pour encourager et récompenser ces innovations, plutôt que d’affaiblir les normes de brevetabilité. Ceci devrait contribuer à encourager les innovations progressives qui prédominent dans nombre de pays en développement.

 

·         Même si la propriété intellectuelle a un rôle à jouer au sein des instituts de recherche publics des pays en développement pour ce qui est d'encourager le transfert et l’application des technologies, il est important néanmoins de tenir compte des points suivants :

 

o        La création d’autres sources de financement n’est pas considérée comme l’objectif principal, qui est au contraire d’encourager les transferts de technologie.

 

o        Il faut veiller à ce que les priorités de la recherche, notamment en ce qui concerne les besoins des pauvres en matière de technologie, que ce soit dans le domaine de l’agriculture ou de la santé, ne soient pas détournées de leur objectif par la recherche de recettes de licence plus importantes.  

 

o        Les instituts de recherche devraient limiter le dépôt de brevets et l'octroi de licences aux cas où ceux-ci sont jugés nécessaires pour encourager le développement du secteur privé et l’application des technologies.  

 

o        Il faut envisager soigneusement la nécessité de délivrer des brevets « défensifs » pour certaines inventions importantes, notamment afin de les utiliser comme moyen de négociation lorsque des technologies complémentaires sont la propriété d’entités du secteur privé et que des concessions réciproques de licences sont exigées pour avoir accès à ces technologies. 

 

o        Pour réaliser un bon équilibre, il faut développer les compétences en PI au sein des institutions du secteur public, qui traditionnellement n’en ont pas, sans perdre de vue les objectifs de la politique officielle de la recherche.

 

·         Lors de l’élaboration des initiatives visant à faciliter l’accès aux instruments de recherche essentiels, il est important de continuer à porter l’attention sur les possibilités d’amélioration des systèmes de brevets, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, afin de prévenir l’apparition de certains des problèmes que ces initiatives cherchent à résoudre.

 

·         Il faut que les pays en développement définissent une stratégie permettant de faire face au risque qu’une nouvelle harmonisation internationale des législations en matière de brevet conduise à l’élaboration de normes qui ne tiennent aucun compte de leurs intérêts. Une telle stratégie pourrait viser une norme mondiale qui prenne en compte les recommandations du présent rapport. Elle pourrait conserver certains assouplissements dans ces normes. Ou bien encore rejeter ce processus, s’il s’avère que les résultats iront à l’encontre des intérêts des pays en développement.

 

 

Chapitre 7 : CAPACITES INSTITUTIONNELLES

 

Pour la plupart des pays en développement, la mise en œuvre de l'Accord sur les ADPIC et l’adaptation à des domaines de PI nouveaux et en rapide évolution (la biotechnologie et les logiciels, par exemple) exigent une modification de la législation en matière de PI. Parmi ces pays, nombreux sont ceux qui peinent à formuler une politique de PI coordonnée. La formulation d’une telle politique dans un pays en développement devrait reposer sur une appréciation juste de la manière dont le système de PI pourrait être utilisé pour favoriser la réalisation des objectifs de développement, ainsi que sur des consultations et un dialogue approfondis avec les partenaires des secteurs économiques qui seraient les plus vraisemblablement touchés. Toutefois, nombre de pays en développement ont des capacités institutionnelles faibles et manquent en particulier de personnel expérimenté et qualifié.

 

Etant donné la pénurie de personnel qualifié, ces pays devraient réfléchir aux choix institutionnels pour l’application des régimes de PI et chercher à utiliser au mieux les technologies de l’information pour les tâches administratives et l'examen des demandes de DPI. Ici se pose la question essentielle de savoir si l’on doit utiliser pour les brevets un système d'enregistrement ou de recherche et d’examen. Le premier système, qui implique une simple vérification fondamentale des demandes de brevets, minimise les besoins en personnel qualifié au sein de l’office des brevets, mais constitue une difficulté pour la mise en œuvre d’un système de brevets comme celui qui est décrit dans le présent rapport. La mise en place du second système est plus difficile du fait des faibles ressources humaines disponibles, puisqu’il implique une vérification détaillée de la validité de la demande de brevet et de son respect des critères de brevetabilité. Plusieurs stratégies existent, notamment l’utilisation des méthodes internationales et régionales pour faciliter la recherche et l’examen, et l’externalisation vers d’autres départements ministériels ou universités ayant les connaissances spécialisées appropriées, ce que les pays en développement pourraient considérer comme solution à leur dilemme.

 

La création et le fonctionnement d’un système de PI sont coûteux, et les pays en développement ne devraient pas détourner de leurs budgets déjà soumis à de fortes contraintes dans le domaine de la santé et de l’éducation les ressources nécessaires pour subventionner l’administration d’un système de DPI. Etant donné que dans la majorité des pays en développement les principaux bénéficiaires des DPI sont des sociétés étrangères, il semble juste que ces dernières financent principalement les dépenses inhérentes à l’administration de la PI, et ce par le biais d’une structure de redevances appropriées.

 

Les DPI n'ont de valeur pour leurs titulaires que s’ils sont véritablement appliqués, ce qui requiert des systèmes juridiques efficaces. Il faut donc aussi que ces systèmes soient capables de rejeter les DPI qui ne sont pas valables. Toutefois, faire valoir les DPI par l'Etat ou par le biais du système de justice pénale est coûteux, et dans de nombreux pays les systèmes judiciaires sont soumis à de fortes pressions, notamment dans le domaine du droit commercial. La nature « privée » des DPI permet d’envisager une résolution des litiges soit à l’amiable, soit dans le cadre du droit civil afin de réduire le poids qui pèse sur les autorités chargées de veiller au respect du droit de la PI. 

 

Les titulaires de DPI des pays en développement sont également confrontés à la difficulté de faire respecter leurs droits dans les pays développés, en raison du coût prohibitif des procédures judiciaires.

 

Les pays développés ont mis au point leur régime de PI en même temps que d’autres formes de réglementation destinées à promouvoir la concurrence. Celles-ci offrent des garanties dans les cas où le système de PI est utilisé d’une manière qui réduit indûment la concurrence. Mais les pays en développement ont dans l’ensemble des mécanismes plutôt faibles et inefficaces pour réglementer les pratiques anticoncurrentielles, si même ils existent. Et mettre en place une législation efficace en matière de concurrence, et créer les institutions qui vont avec, est tout aussi difficile que la création d’un régime de PI. Il faudra peut-être que les pays en développement envisagent de renforcer leur politique de concurrence, ce qui est souhaitable pour d’autres raisons également, et non pas uniquement en matière de DPI.

   

En vertu de l'Accord sur les ADPIC, les pays développés sont tenus d'offrir une coopération technique et financière aux pays en développement afin de faciliter sa mise en œuvre. La plupart des pays développés fournissent aux pays en développement une assistance technique liée à la PI. Mais la qualité et la quantité de cette assistance doivent être correctement évaluées. Les résultats d’une grande partie de l’assistance technique ne semblent pas être proportionnés aux efforts déployés et aux ressources utilisées. Il se peut que l’assistance provenant de différentes sources soit insuffisamment coordonnée et mal intégrée à d’autres formes d’aide au développement.

 

·         Les pays en développement et les bailleurs de fonds devraient unir leurs forces pour que les processus de réforme nationale de la PI soient correctement intégrés aux autres domaines connexes de la politique de développement. Il faut intensifier les efforts pour encourager une plus grande participation des parties prenantes nationales aux réformes de la PI. Lorsqu’ils fournissent une assistance technique, les bailleurs de fonds devraient contribuer au renforcement de la capacité des institutions locales à entreprendre des travaux de recherche en matière de PI et à établir un dialogue avec les parties prenantes, en plus de la fourniture d'experts internationaux et de conseils juridiques.

 

·         Les pays en développement devraient chercher à récupérer la totalité des dépenses liées aux améliorations et à la gestion de leurs infrastructures nationales en matière de PI par le biais des redevances perçues auprès des utilisateurs du système. Ils devraient également envisager l’adoption d’un système à plusieurs niveaux de redevances pour l’enregistrement des DPI. Le montant des redevances demandées aux utilisateurs devrait être révisé régulièrement afin de veiller à ce que les coûts de l’administration du système soient complètement récupérés.

 

·         Afin de minimiser les coûts, les pays en développement devraient veiller à ce que leur législation et leurs procédures en matière de PI mettent l'accent, dans toute la mesure du possible, sur les moyens de faire respecter les DPI qui font intervenir les voies administratives ou civiles, plutôt que le système de justice pénale. Les procédures visant à assurer le respect des droits devraient être justes et équitables pour les deux parties en cause et garantir que des injonctions et autres mesures ne sont pas utilisées à mauvais escient par les titulaires de DPI pour bloquer une concurrence légitime. Les fonds publics et les programmes des bailleurs de fonds devraient être utilisés principalement pour améliorer l'application du droit de la PI dans le cadre d’un renforcement plus large des systèmes juridique et judiciaire.

 

·         Les pays développés devraient mettre en place des procédures visant à faciliter l’accès effectif des inventeurs de pays en développement à leurs systèmes de PI. Ces procédures pourraient comprendre notamment des niveaux de redevances différenciés favorables aux inventeurs pauvres ou aux inventions à but non lucratif, des systèmes pro bono, des dispositions prévoyant la récupération des dépens par les parties gagnantes dans les procès ou l’inclusion, dans les programmes d'assistance technique, de frais appropriés pour la mise en œuvre du système de PI.

 

·         Les pays développés et les institutions internationales qui fournissent une aide à l’élaboration de régimes de DPI dans les pays en développement devraient également fournir une aide pour l’élaboration de politiques appropriées en matière de concurrence et pour la création des institutions nécessaires. 

 

·         L’OMPI, l’Office européen des brevets et les pays développés devraient élargir de manière significative leurs programmes d’assistance technique liés à la PI. Les financements supplémentaires nécessaires pourraient être trouvés grâce à une modique augmentation des redevances d’utilisateur de ces DPI, comme les redevances au titre du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), système international pour le dépôt des demandes de brevets, plutôt que dans des budgets d’aide déjà soumis à de fortes pressions. Les bailleurs de fonds devraient également veiller à orienter une plus grande assistance technique vers les PMA, étant donné qu’ils ont tout particulièrement besoin de mettre au point un régime de PI ainsi que d’étendre leur infrastructure institutionnelle pour assurer l’efficacité de la protection et la réglementation.

 

·         L’assistance technique liée à la PI devrait être organisée en tenant compte des besoins et des priorités de développement spécifiques à un pays particulier. Pour ce faire, on pourrait incorporer cette assistance au Cadre intégré pour l’assistance technique liée au commerce dont l’objectif est de faciliter l’intégration des plans de développement nationaux et des stratégies d’assistance des bailleurs de fonds. 

 

·         Les bailleurs de fonds devraient renforcer les systèmes permettant de suivre et d’évaluer les programmes de coopération pour le développement liés à la PI. Une première mesure importante serait de créer un groupe de travail réunissant bailleurs de fonds et pays en développement pour commanditer et surveiller une étude d’impact à l’échelon du secteur concernant l’assistance technique liée à la PI accordée aux pays en développement depuis 1995. Une équipe d’experts externes devrait effectuer cette évaluation.

 

 

Chapitre 8 : L'ARCHITECTURE INTERNATIONALE

 

Les principales institutions internationales responsables de l’évolution de la politique internationale en matière de PI sont l’OMPI et l’OMC. L’OMPI est la principale institution internationale qui organise la négociation des traités en matière de PI et se charge de leur administration. L’OMC a un mandat beaucoup plus large que l’OMPI, mais joue un rôle important dans l’élaboration de la politique de PI, parce que ses règles, notamment le mécanisme de règlement des différends, donnent à cette organisation plus de moyens au niveau de l'application. La mission de l’OMPI, telle qu’elle est décrite dans ses articles, consiste à promouvoir la protection de la PI à l’échelon mondial et l’harmonisation des législations nationales. Ses articles ne l'obligent pas à tenir compte à la fois des avantages et des coûts de la protection de la PI dans les pays en développement, ni des liens complexes qui existent entre la protection de la PI et le développement.

 

Les pays en développement n’ont pas toujours pleinement utilisé les assouplissements prévus dans l'Accord sur les ADPIC (fixation des règles de brevetabilité ou raisons permettant le recours aux licences obligatoires, par exemple). C’est peut-être le résultat d’une décision prise en toute connaissance de cause, mais il est aussi possible que ces pays aient eu les mains liées par d’autres engagements, tels que des accords bilatéraux, ou bien que les responsables du processus législatif ne soient pas suffisamment conscients des options disponibles, ou de tout ce qu’elles impliquent. De nombreux pays en développement dépendent considérablement des lois types et de l’assistance technique fournies par l’OMPI, bien que d’autres offices régionaux et nationaux de PI dans les pays développés jouent également un rôle important en matière de conseil. Même si les conseils de l’OMPI sont hautement appréciés, certains redoutent que les conseils donnés aux pays en développement ne tiennent pas pleinement compte des assouplissements prévus dans l'Accord sur les ADPIC, ni de la meilleure manière de les utiliser compte tenu des circonstances économiques et sociales d’un pays particulier.

 

Les pays en développement sont tenus d’adopter les normes de protection de l'Accord sur les ADPIC d’ici une date arbitraire, établie à 2006 pour les PMA. Les difficultés à surmonter sont considérables et entraîneront des coûts importants, au cas où serait mis en place un régime de PI inadapté au stade de développement. Il est fortement recommandé que les pays en développement fixent eux-mêmes la période de temps optimale nécessaire pour renforcer leur protection de la PI. Dans l'Accord sur les ADPIC, il existe des dispositions permettant d’étendre la période de transition pour les PMA et la Déclaration de Doha a lancé ce processus en prolongeant jusqu’à 2016 les exemptions à la protection par brevet pour les produits pharmaceutiques.

 

Il est légitime dans une certaine mesure que les pays développés s’intéressent aux normes de PI de leurs partenaires commerciaux. Mais les accords régionaux et bilatéraux qui encouragent les pays en développement à adopter des normes de protection de la PI plus élevées, allant au-delà des celles prévues par l'Accord sur les ADPIC, peuvent fragiliser le système multilatéral en limitant l’utilisation par les pays en développement des assouplissements et des exceptions autorisées par l'Accord sur les ADPIC et d’autres traités. De plus, ces normes plus élevées ne sont pas forcément adaptées au stade de développement du pays en question.

 

La participation active des pays en développement aux discussions sur l’avenir du système de PI est absolument essentielle pour garantir tant la légitimité de la fixation des normes que sa pertinence et son utilité pratique pour des pays se trouvant à divers stades de développement. La participation effective des pays en développement dépend des compétences et de l’expérience de leurs représentants, qui pourraient ne pas bien connaître certains sujets techniques examinés à l’OMPI et par le Conseil des ADPIC de l’OMC. Les pays en développement reçoivent également des conseils en matière de PI provenant d'une multitude de sources. Cela présente certains avantages qui tiennent justement à cette diversité. Toutefois, ces conseils reflètent souvent le point de vue des personnes qui les donnent et ne répondent alors pas nécessairement aux intérêts bien compris du pays en question.

 

Les ONG ont en général apporté une contribution très positive en exprimant leurs préoccupations quant à l'impact de la PI sur les pays en développement. Par exemple, les campagnes de sensibilisation du public entreprises par les ONG des secteurs du développement et de la santé ont joué un rôle important en soutenant les pays en développement dans leur négociation de la Déclaration sur les ADPIC et la santé publique à Doha. Dans le domaine de l’agriculture et des ressources génétiques, les ONG ont également joué un rôle de premier plan. Certains ont demandé qui les ONG représentaient exactement et devant qui elles étaient responsables. Il s’agit là d’une préoccupation légitime, et il est par conséquent essentiel de s'assurer qu’elles jouent un rôle constructif dans l’appréciation exacte des intérêts des pays en développement. En même temps, elles peuvent jouer un rôle important dans le dialogue international engagé sur ces questions.

 

Les règles internationales concernant la PI se développent très rapidement. A mesure qu’elles évoluent, il est important que leur impact actuel et potentiel soit correctement compris afin que les mesures prises reposent sur des données fermement établies, et moins sur des idées préconçues concernant ce que ces règles représentent pour les pays en développement. Toutefois, il y a relativement peu de travaux de recherche réalisés jusqu’à présent pour essayer de comprendre leur impact.

 

·         L’OMPI devrait s’efforcer d’intégrer les objectifs du développement dans sa démarche de promotion de la protection de la PI dans les pays en développement. Elle devrait reconnaître de manière explicite à la fois les avantages et les coûts de la protection de la PI et la nécessité qui en découle d’adapter les régimes nationaux dans les pays en développement afin de garantir que les coûts ne dépassent pas les avantages. Il appartient à l’OMPI de déterminer quelles mesures concrètes doivent être prises dans ce but, mais elle devrait au minimum s'assurer que ses comités consultatifs sont composés de représentants provenant d’un large éventail d’entités, et rechercher en outre une coopération plus étroite avec d’autres organisations internationales concernées comme l’OMS, la FAO, la CNUCED et la Banque mondiale.

 

·         Les Etats membres de l'OMPI devraient réviser les articles de l'OMPI s'ils ne sont pas capables de les réinterpréter pour intégrer clairement les objectifs de développement dans ses opérations. 

 

·         L’OMPI devrait prendre des mesures pour appliquer dans les faits sa politique déclarée selon laquelle elle tient compte davantage de la nécessité d’adapter ses conseils en matière de PI aux circonstances spécifiques du pays en développement qu’elle est en train d’aider. L'OMPI et le gouvernement concerné devraient faire participer un plus grand nombre de parties prenantes à l’élaboration de la législation en matière de PI, à la fois au sein de l’administration et à l’extérieur, ainsi que les éventuels producteurs et utilisateurs de la PI. D’autres prestataires d’assistance technique aux pays en développement devraient prendre des mesures équivalentes.

 

·         Il faudrait accorder aux PMA une période de transition plus longue pour l’application de l'Accord sur les ADPIC, jusqu’en 2016 au plus tôt. Le Conseil des ADPIC devrait envisager l’introduction de critères fondés sur les indicateurs de développement économique et technologique pour décider de prolongations ultérieures au-delà de cette date. Les PMA qui ont déjà adopté les normes ADPIC de protection de la PI devraient être libres de modifier leur législation, s’ils le désirent, pendant cette période de transition prolongée.

 

·         Bien que les pays en développement aient le droit d’opter pour une conformité accélérée avec des normes allant au-delà de celles prévues par l'Accord sur les ADPIC, ou pour leur adoption, s’ils pensent que cela est dans leur intérêt, les pays développés devraient réviser leurs politiques en matière de diplomatie commerciale régionale et bilatérale avec les pays en développement de manière à ne pas leur imposer des normes ou des calendriers allant au-delà de ceux prévus dans l'Accord sur les ADPIC.

 

·         L’OMPI devrait élargir ses programmes de financement des représentants des pays en développement, de sorte que ces derniers puissent être effectivement représentés à toutes les importantes réunions de l’OMPI et de l’OMC les intéressant directement. Il appartient à l’OMPI et à ses Etats membres de déterminer comment réaliser efficacement cette représentation et comment la financer à partir du budget de l’OMPI.

 

·         La CNUCED devrait établir deux nouveaux postes de conseillers en matière de propriété intellectuelle pour aider les pays en développement dans les négociations internationales sur la PI. Nous proposons que le DFID envisage un financement initial de ces postes pour prendre la suite du financement actuel du projet lié aux ADPIC de la CNUCED.

 

·         L’OMC et l’OMPI devraient donner aux organisations représentant la société civile de plus nombreuses possibilités de jouer leur rôle légitime d’une manière aussi constructive que possible. Par exemple, on pourrait inviter les ONG et d’autres groupes de la société civile concernés à participer aux réunions des comités consultatifs appropriés, ou à y assister en qualité d’observateurs, ou encore organiser régulièrement des dialogues publics sur des thèmes actuels auxquels les ONG pourraient participer.

 

·         Les commanditaires des travaux de recherche, y compris l’OMPI, devraient fournir des fonds pour soutenir de nouveaux travaux relatifs aux liens entre la PI et le développement dans les domaines qui ont été identifiés dans notre rapport. La création d’un réseau international et d’une initiative de partenariat entre les commanditaires de travaux de recherche, les gouvernements des pays en développement, les agences de développement et les universités dans le domaine de la PI pourrait aider à identifier et à coordonner les priorités de la recherche, à partager les connaissances et à faciliter une plus grande diffusion des résultats. Nous recommandons avant tout que le DFID entreprenne, en collaboration avec d’autres, la définition d’une telle initiative.


 

SIGLES

 

ADPIC              – Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

CDB                 – Convention sur la diversité biologique

CNUCED           – Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement

DFID                 – Ministère britannique du Développement international

DMCA              – Digital Millennium Copyright Act (Loi du millénaire sur le droit d’auteur numérique)

DPI                   – Droits de propriété intellectuelle

FAO                 – Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (ONU)

FDA                  – Food and Drug Administration (Etats‑Unis)

OEB                 – Office européen des brevets

OMC                 – Organisation mondiale du commerce

OMPI               – Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

ONG                 – Organisation non gouvernementale

PI                     – Propriété intellectuelle

PCT                  – Traité de coopération en matière de brevets

PMA                 – Pays les moins avancés

PVV                 – Protection des variétés végétales

R&D                 – Recherche et Développement

UPOV               – Union internationale pour la protection des obtentions végétales

SIDA                 – Syndrome d’immunodéficience acquise

VIH                   – Virus de l’immunodéficience humaine

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

 

La Commission souhaite remercier toutes les nombreuses personnes que nous avons consultées pendant nos recherches et qui nous ont permis de faire usage de leurs points de vue, de leurs connaissances et de leur temps précieux. Nous avons pris en compte avec soin toutes les opinions exprimées dans la rédaction du présent rapport. Nous voulons aussi remercier tous ceux que nous avons rencontrés lors de nos déplacements en Afrique du Sud, en China, en Inde, au Brésil, au Kenya, à Genève, à Bruxelles, à Washington et à Londres. Nous avons beaucoup apprécié la participation active de tous ceux qui ont assisté à notre conférence internationale, en février 2002. Nous voudrions aussi remercier tout particulièrement les auteurs des documents de travail de la Commission et ceux qui ont pris part à nos ateliers d’experts.

 

[La liste complète de toutes les organisations consultées figure dans le rapport principal]

 


 

Bien que la Commission ait été financée par le ministère britannique du Développement international et par l'Office britannique des brevets, elle a travaillé en toute liberté pour parvenir à ses propres conclusions, et les opinions exprimées dans son rapport ne sont pas celles du gouvernement britannique.